Indice articoli

(A) la prose

- auteur: anonyme

- commanditaires: Charles de Rochefort, Hue de Longueval et Pierre Ruote (cf. Cazanave 1998, pp. 98-102)

- datation: 29 janvier 1455 (n.st., cf. explicit)

- Doutrepont1939, pp. 139-144

- manuscrits: Huon de Bordeaux n’est transmis que par des imprimés.Editio princeps:

Les prouesses et faictz merveilleux du noble Huon de Bordeaulx per de France, duc de Guyenne. Nouvellement redigé en bon françoys et imprimé par le congié et previlege du Roy nostre sire comme il appert a la fin de la table de ce present livre

Deux témoins portent la même date: Paris, Michel Le Noir, 26 novembre 1513 [London, BL, C-97-c-1], et Paris, Jean Petit, 26 novembre 1513 [Boston, PL, G-f-400-38]; seules les dernières marques les différencient.

- organisation du texte 

Le texte est distribué en 184 chapitres (titres centrés, en noir, isolés par une interligne), d’ampleur très variable: si le premier ne compte que 28 lignes, les chapitres qui occupent plusieurs feuillets peuvent présenter des subdivisions internes que signalent des lettrines (le ch. 40, ff. 32b-34b, comporte quatre sous-parties, mais cette atomisation n’est pas systématique: le ch. 71, ff. 60 a-62b; le ch. 90, ff. 78d-80b; le ch. 92, ff. 81a-83b, restent compacts).

Les 76 premiers chapitres correspondent à Huon de Bordeaux, c’est-à-dire à la chanson mère, noyau du cycle long versifié, dont on retrouve, avec un certain nombre de modifications, les principales étapes: meurtre de Charlot, mission expiatrice confiée par l’empereur, rencontre d’Oberon, exploits à Tourmont et à Dunostre, accomplissement de la mission à Babylone, châtiment de Huon qui s’est uni à Esclarmonde avant les noces, retour à Bordeaux, trahison de Gérard, réhabilitation de Huon grâce à Obéron qui invite Huon à le rejoindre à Monmur au bout de trois années, avec la promesse d’hériter après sa mort du royaume de féérie.

Comme dans la première suite du poème baptisée par la critique Chanson d’Esclarmonde, une première séquence (ch. 77-140) est dominée par trois éléments narratifs: conflit avec l’empereur d’Allemagne Thierry, naissance de Clairette, fille de Huon et d’Esclarmonde, et surtout une deuxième expédition de Huon en Orient, chargée d’éléments merveilleux: rencontre avec Judas, voyage aérien sur le dos d’un griffon, découverte de la fontaine de jouvence, rencontre avec Caïn. De même que la séparation du duc, de la duchesse de Bordeaux et de Clairette, le conflit avec l’empereur d’Allemagne trouve sa fin avec le retour de Huon (ch. 77-140).

Une séquence plus brève (ch. 140-147) raconte comment Huon et Esclarmonde, au terme de nouvelles aventures merveilleuses, rejoignent Oberon qui, sur son lit de mort, dicte ses volontés ultimes et confie à Huon sa dignité et le gouvernement de toute la Féerie. L’intérêt se fixe ensuite sur Clairette (ch. 148-163), qui est maintenant en âge d’être courtisée. Les amours de la fille de Huon avec Florent d’Arragon sont soumises à quelques obstacles jusqu’à un heureux dénouement, favorisé par les parents: le mariage de Clairette et Florent a lieu dans un grand rassemblement de familles, de rois et de fées.

Sept chapitres suffiront pour régler la biographie de l’héroïne de la génération qui suit: Clairette meurt en mettant Yde au monde; devenu mauvais père, Florent développe envers la chair de sa chair des sentiments incestueux, ce qui oblige la jeune fille à fuir et à se déguiser en homme; obligée d’épouser Olive, Yde, grâce à un miracle divin, devient Ydé, un homme. Dans le ch. 170 a lieu la venue au monde de Croissant, fils d’Ydé et d’Olive, arrière-petit-fils de Huon et d’Esclarmonde, héros d’une sorte d’exemplum qui montre comment la prodigalité et ses effets pervers sont à redouter, tandis que l’esprit de désintéressement est in fine toujours récompensé. L’histoire se conclut à Rome avec le couronnement de Croissant, épousant l’héritière de Guiemart de Pouille, l’agrandissement de la seigneurie romaine mais aussi avec l’annonce de conquêtes futures à Jérusalem et en Syrie qu’il n’y a pas à attendre à l’intérieur de la prose romanesque puisque cette matière historique, est-il dit, existe par ailleurs, couchée dans un livre de chroniques (ch. 171-184).

Le programme iconographique

La gravure qui prend place sous le titre (141 x 106 mm) représente un cavalier armé, à l’allure triomphale, suivi de deux chevaliers et accompagné d’un écuyer; ils se dirigent à gauche, vers une ville à l’arrière-plan, dont les habitants sont prêts à les accueillir. Il s’agit d’un bois de réemploi, que Michel Le Noir avait déjà utilisé pour illustrer la page de titre de Beufves d’Anthonne (1502), et qu’il reprendra pour Gyron le Courtois (août 1519) et Jourdain de Blaves (1520); il est manifestement d’une autre main que celle des autres gravures spécialement conçues pour les Prouesses. Jean Trepperel et Jean Janot (voir infra, histoire de la prose) opteront pour une illustration plus ajustée au contenu, tant par l’insertion de lettres rouges indiquant Huon, que par la présence de trois personnages féminins signalant la thématique amoureuse.

Sur les 87 bois utilisés par Michel Le Noir on ne compte que 9 reprises (ff. 3c / 112a; 7a / 59a; 9d/75a ; 32a/34c; 41a/122b; 48a/88a; 64ab/127cd; 67c/130a; 164d/187d).

Pour les autres, quelques thèmes récurrents sont reconnaissables: tenue de la cour, mêlée, duel, scène galante, accueil, reddition d’une ville, combat contre un géant ou un monstre. Quelques scènes ou personnages paraissent identifiables, même hors contexte: ainsi Roland au f. 8a, en lien thématique avec la mort de Charlot au ch. 10, reposant peut-être sur la douleur de Charlemagne. Ailleurs Michel Le Noir n’hésite pas à utiliser des bois conçus pour d’autres œuvres, comme La Destruction de Troye de Jacques Milet(Paris, Jean Bonhomme, 1484; Michel Le Noir, 1508).

20 bois gravés, d’une très haute qualité et sans doute d’une même main, révèlent une parfaite correspondance au texte:

- f. 5a, ch. 7: Charlot transperce Gerardin, sous les yeux de Huon.

- f. 15a, ch. 20: L’ermite Gerasmes, sur le fond d’un bois, salue Huon et sa suite.

- f. 16c, ch. 21: Oberon avance, à cheval, vers Huon et Gerasmes.

- f. 19c, ch. 25: Pendant le repas, Huon reçoit le cor et le hanap, en présence de Gerasmes et Oberon.

- f. 21c, ch. 27: Huon donne à souper aux pauvres de Tourmont.

- f. 26c, ch. 33: Mort d’Angoulaffre; Sebille a récupéré la faux du géant, Huon brandit son épée.

. 27c, ch. 34: Sur le rivage, Huon aperçoit Malabron sortant des flots; sur la gauche, château de Dunostre: Sebille, et deux témoins assistent à la rencontre.

- f. 28b, ch. 32: Huon, souriant, nu sur Malabron, homme poisson. Le même bois sera repris au f. 41d, ch. 50: Malabron aide Huon à quitter l’île Moysant.

- f. 30b, ch. 37: Sur la gauche, Huon armé dans la salle du palais de Babylone a décapité un roi païen; sur la droite, Huon toujours embrasse Esclarmonde.

- f. 38b, ch. 46: Oberon, armé, devant le corps de Gaudisse; Huon est représenté deux fois, derrière le nain et en arrière-plan.

- f. 44d, ch. 53: Partie d’échecs entre Huon et la fille du roi de Montbrant, Yvoyrin.

- f. 57b, ch. 58: Un des traîtres ouvre le côté de Gerasmes pour récupérer la barbe et les quatre dents de Gaudisse; sur la gauche, Huon, les mains liées.

- f. 66b, ch. 75: pendaison de Gerard, de Gibouard, de l’abbé et d’un moine. Sur la droite, Charlemagne et Oberon.

- f. 89c, ch. 99: Rencontre de Judas; dans la nef, sur la droite, Huon et Exclarmonde; un homme, dont la présence intrigue, et une sirène dans les ondes.

- f. 104b, ch. 104: Un griffon emporte Huon armé, au-dessus d’un bateau.

- f. 106a, ch. 110: Combat de Huon contre le griffon près de la fontaine de Jouvence.

- f. 117c, ch. 120: Caïn enfermé dans un tonneau en flammes; Huon assiste à la punition, un maillet à son pied gauche.

- f. 118d, ch. 121: Huon, armé de son épée et de sa masse, se fait passer pour Caïn auprès d’un diable.

- f. 144a, ch. 145: Huon et Esclarmonde sont transportés dans les airs par un moine blanc, ancien mauvais ange, au-dessus de la mer.

- f. 184d, ch. 180: Dans une salle, Croissant est allongé à l’arrière-plan et dort; l’empereur Guiemard lui apporte de quoi boire et se nourrir.

Certaines de ces gravures seront réemployées dans l’édition Jean Bonfons, s.d. (cf. infra, histoire de la prose).

Seule la prose du Huon de Bordeaux propre (Raby 1998), ainsi que, à la fin du roman, la prose de Croissant (Raby 2001), ont été aujourd’hui éditées. Pour la comparaison de la prose avec le modèle en vers, nous disposons de l’étude très soignée que propose M. Raby dans l’introduction à son édition du Huon de Bordeaux propre (pp. liii-clvi), de quelques indications de M. Rossi (1975, pp. 626-628), et de l’article de C. Cazanave (1998).

Selon M. Raby, on peut relever dans la prose «des caractéristiques communes à bon nombre de remaniements de chansons de geste datant du XVe siècle». Les additions apportent des précisions de type historique ou géographique, avec des commentaires explicatifs du prosateur et la recherche d’une caractérisation plus détaillée des personnages grâce à de brefs portraits, de petites scènes, des monologues, le tout étant destiné à accentuer le caractère pathétique ou comique d’une situation. Les suppressions concernent les marques d’oralité ou de structuration du texte épique (les motifs épiques, notamment en ce qui concerne le combat, les prières épiques). Dans les modifications qu’il apporte à son modèle, le prosateur se montre soucieux de réalisme et de vraisemblance et tend à adoucir la rudesse des mœurs épiques. De son côté, C. Cazanave souligne l’actualisation du récit, par exemple avec l’importance accrue donnée à la croisade (1998, pp. 106-107), ou la présence de traits renvoyant à l’influence de la cour de Bourgogne (pp. 112-115).

En ce qui concerne le style, M. Raby souligne un caractère d’emphase, avec un large usage de figures de style telles que séries synonymiques, anaphores, interventions d’auteur, ce qui n’empêche pas à ses yeux le texte en prose «d’être plus nuancé, plus adapté aux niveaux de langage, plus apte à laisser transparaître l’humour et le comique, les voix et les jeux entre l’auteur et les lecteurs» (p. cix) que son modèle en vers. Jugement plus sévère chez M. Rossi, qui considère que «les propos des personnages […] sont toujours traités dans un ton oratoire qui contraste avec la sobriété expressive du texte médiéval (1975, p. 627); mais peut-être M. Rossi se laisse-t-elle emporter par l’attitude habituelle des critiques avant les années 1980, qui jugent des proses épiques non pour elles-mêmes, mais par rapport aux textes anciens versifiés, considérés comme modèles inégalables.

Pour le Huon de Bordeaux propre, le prosateur suit fidèlement le modèle en vers; sa démarche est différente pour les continuations, et M. Rossi souligne l’amplification fréquente des éléments versifiés, par exemple pour la partie Esclarmonde, où le prosateur développe «les aventures vécues par Huon au château de l’Aimant, les péripéties de la guerre avec l’empereur d’Allemagne, ou la captivité d’Esclarmonde: ce qui veut intéresser le lecteur semble être la péripétie pour elle-même» (Rossi 1975, p. 627). On peut s’étonner de la différence entre la fidélité au modèle dans la première partie et la plus grande liberté du translateur dans la seconde. Il ne paraît cependant pas nécessaire d’imaginer un rédacteur différent pour cette seconde partie, le style n’apparaissant pas comme différent de celui de la première, mais le caractère nettement plus aventureux des continuations a pu être une incitation à s’engager plus avant dans une voie jugée séduisante pour le prosateur comme pour ses futurs lecteurs. Ce qui est certain, c’est que le prosateur a beaucoup lu: il connaît par exemple une version du Renaut de Montauban remanié et bâtit une histoire d’Oberon dans lequel le roman de Florimont, les traditions littéraires et historiques sur Alexandre ou Jules César s’enchevêtrent (Cazanave 1998, pp. 119-126).